lundi 29 mars 2010

Frères ennemis

Jean-François avait dix ans quand on a commencé à rire de lui à l'école. Il faisait de la gymnastique. Il était pas mal bon, à part ça. Il gagnait des médailles. Sa photo paraissait souvent dans le journal local. Les autres petits gars qui, pour la plupart, jouaient au hockey, eux, ne l'avaient pas, leur photo dans le journal. Ils étaient probablement peu jaloux. Ils ont commencé à rire de lui. Tapette, gay, osti de fif.
Jusque là, l'histoire n'est pas neuve. Elle se répète dans toutes les écoles secondaires, à tous les ans, avec des centaines de jeunes garçons.
Mais dans la bande des harceleurs de Jean-François, il y avait quelqu'un de bien particulier.
Son frère. Son frère jumeau.
Même cheveux blonds en bataille. Même corps mince. Même grands yeux bleus. Deux garçons parfaitement semblables. A dix ans, Jean-François a donc vu sa moitié, son double parfait, un partie de lui-même, se retourner contre lui pour sauver sa peau.
Pour éviter d'être, lui aussi, traité de fif, de mangeux de queues, d'osti de tapette.
Imaginez un instant l'ampleur de la trahison qui a coupé les jambes à ce petit garçon de dix ans.
Triste à mourir.

jeudi 18 mars 2010

Points de bascule

Mon amie Agnès Gruda vient de commettre un délicieux petit recueil de nouvelles qui s'axe autour du thème de la trahison. Ça s'appelle Onze petites trahisons. Dans toutes ses nouvelles, il y a ce thème, récurrent: cet instant, où, dans une vie, le temps s'arrête. Toutes les possibilités sont là, devant nous, intangibles. Et où on choisit, ou non, de trahir. Une sorte de point de bascule où on tombe délibérément d'un côté, ou de l'autre, d'un chemin à deux voies qui, chacune, nous emmène à un endroit différent. Ces points de bascule qui parsèment notre vie me fascinent, je l'avoue.
Tout comme ces instants magiques où une foule d'inconnus communie brièvement. Ça arrive parfois dans le métro. Lorsque la voix de femme de la STM annonce, par exemple, que le service sera interrompu. Les yeux qui s'évitaient soigneusement s'autorisent, pendant un bref moment, à se croiser. Tout le monde retient son souffle. Où le service a-t-il été interrompu? Ligne verte. Nous sommes sur la ligne orange. Le grand ouf est collectif. Pendant une ou deux secondes, des regards soulagés et des sourires s'échangent, des blagues sont lancées. Par l'entremise d'une voix électronique porteuse de mauvaises nouvelles, de fragiles ponts de corde ont été lancés entre de purs étrangers.
Et si, à un moment précis dans un wagon de métro, deux personnes le désiraient vraiment, cet infime instant de complicité pourrait se transformer en point de bascule de toute une vie.

mercredi 17 mars 2010

Le pantalon

Qui porte le pantalon au lit? Le titre s'étalait, en gros, sur une page du journal Métro. L'article était illustré d'une photo non équivoque: la fille, en boxer ajustés, debout, dominant nettement un jeune gars, beau et épilé, assis, dos contre le mur. Littéralement soumis au pouvoir du deuxième sexe, qui de nos jours, c'est bien connu, porte désormais le pantalon. Le jeune qui lit cet article a des lunettes, une petite barbichette, un sac à dos. Il lit le papier de la première à la dernière ligne. Station Berri-UQAM. Il descend. Un étudiant, je parie. En sexologie.