jeudi 17 décembre 2009

Cheveux (2)

La vitrine est grande comme celle d'un magasin de fringues. Le Château, Jacob, Tristan. Sauf que ce n'est pas des vêtements qu'on montre ici, ce sont des cheveux. Quatre rangées de bustes de femmes, dont les têtes sont recouvertes de perruques diverses. Rousse frisée comme la méchante vampire de Twilight, blonde cheveux raides genre Pamela Anderson, tresses rastas à la Whoopi Goldberg, brune coupe courte comme Liza Minelli. Tous les cheveux du monde sont dans cette vitrine d'un magasin de la Place Versailles, et ils sont tous sagement posés sur le même buste de mannequin, dont la «peau» est d'une curieuse couleur qui oscille entre le gris et le brun. Les filles ont toutes le même visage, grands yeux bruns comme dans les mangas japonaises, nez d'une finesse maladive à la Michael Jackson, bouche maquillée, regard porté vers le haut. Et on se demande: mais qu'est-ce qu'elles peuvent bien regarder?


mercredi 16 décembre 2009

Cheveux

La fille est Noire, elle vient d'entrer dans le métro. Avec deux pinces, elle tient en laisse une spectaculaire crinière de cheveux qui ont tous la forme de fins ressorts. De très, très longs ressorts. La plupart sont noir d'encre, certains tendent plutôt au roux. Sont-ce là de vrais cheveux? Des rallonges? Une masse de cheveux curieux et attirants, donc, qu'on meurt d'envie de toucher.
A deux pas de là, assise sur un banc, une dame porte un manteau de chat sauvage, comme disait ma mère. Elle a aussi un bonnet assorti, qui épouse parfaitement sa coiffure. Le chat sauvage a la même texture et la même teinte que les cheveux de la dame. Sa frange semble faite en chat sauvage.
Et, debout contre la porte, il y a ce gars, vêtu d'un spectaculaire pantalon de cuir brun lacé sur les côtés, cheveux bruns-roux tombant au milieu du dos. L'ensemble lui donne un air vaguement médiéval. On l'imagine, artisan, forgeron, peut-être, cheveux attaché avec un lien de cuir, torse nu, qui frappe avec une masse le fer rougi d'une épée.

lundi 14 décembre 2009

Touriste de la misère

J'en ai visité, des drôles d'endroits. Des hôpitaux psychiatriques. Des centres jeunesse pour ados. Des centres jeunesse pour enfants. Des taudis. Des squats. Un autobus pour junkies. Je n'y peux rien, j'y reviens toujours. Je suis révoltée, enragée, abattue et fascinée par les histoires qui se déroulent dans des milieux de merde.
Je suis une touriste de la misère.
Laissez-moi donc vous raconter mon dernier voyage.
Le pire, c'est que je n'ai même pas eu à mettre le pied dehors. J'ai simplement ouvert un bouquin. Un bouquin qui est comme l'équivalent de La Route, de Cormac McCarthy, mais sans l'apocalypse. Parce que chacun sait que l'apocalypse se porte très bien dans certains quartiers de Montréal, de New York ou de Bombay.
Il suffit d'avoir sept ans et de se faire violer par son père, de se faire battre par sa mère, de plus rien comprendre à l'école et de se pisser dessus parce qu'on est trop gênée pour aller aux toilettes.
C'est ça que mon dernier voyage raconte. La vie de Precious Jones, 16 ans. Le bouquin s'appelle Push, écrit par la poétesse Sapphire. Oprah Winfrey vient tout juste de produire un film qui s'inspire du livre. Il paraît que c'est bon. Je ne l'ai pas vu. Mais, c'est sûr de sûr, pour l'écran, on aura un peu miellé cette histoire. On l'a rendue un peu plus sucrée, un peu plus jolie, un peu plus acceptable. Parce qu'en tant que tel, voir ça, ce serait insupportable. Le livre est un coup de poing dans le ventre, une baffe en pleine face.
C'est une histoire d'horreur, donc, mais aussi une histoire de mots. La fille finit par aboutir dans une école parallèle d'alphabétisation. Et là, elle tombe sur une prof. La prof leur donne un cahier. Elle leur dit: écrivez. Toutes les filles la regardent avec des yeux ronds. «Mais on sait pas écrire». Écrivez comme vous pensez, répond la prof. Au diable l'orthographe. Trois lettres par mots. C'est pas grave. Les élèves écrivent leurs mots incompréhensible. La prof, elle comprend. Elle traduit, en dessous, avec les vrais mots. Et elle leur répond.
De ce dialogue naîtra l'apprentissage.
J'ai vu ça à l'oeuvre il y a quelques temps dans un groupe communautaire de la Rive-sud. La boîte à lettres. Les jeunes arrivent là, ils sont complètement poqués. A ramasser à la petite cuillère. Les filles de la BAL m'ont dit: c'est plus facile d'alphabétiser une femme Africaine qu'un jeune Québécois. Parce que l'Africaine, elle, elle sait qu'elle sait pas lire tout simplement parce qu'elle est jamais allée à l'école. Alors que nos jeunes, ici, ils se sont fait dire chez eux, et aussi à l'école, qu'ils étaient des nuls, nuls, idiots, finis. Alors, ils en sont con-vain-cus.
Et c'est là que commence leur malheur.
Parce que quand on est une nullité, on se bat pas. On se bat plus. On baisse les bras. On se laisse faire par le père, on se laisse battre par la mère. De toute façon, on vaut rien.
Et puis, ces jeunes-là finissent par écrire, comme Precious Jones. On les laisse écrire. Ils racontent leur vie. Et de ces mots, de ces petits signes sur une feuille, qui, comme ça, ont l'air tout à fait innocents, jaillit comme une sorte de pouvoir. Je suis capable. C'est le début de tout.
C'est magnifique, non?

mercredi 9 décembre 2009

Coït interrompu

La fille a les cheveux bruns lâches, une bouche rosée et brillante, entrouverte. Elle est couchée sur des draps de satin en désordre. Elle porte une culotte grise, bordure de dentelle, et une push-up bra assortie, qui triple probablement la taille de sa poitrine. Elle porte aussi un bracelet chargé de breloques autour du bras.
Tout, dans cette affiche publicitaire d'une boutique de lingerie rue Beaubien, est fait pour suggérer le sexe débridé, la fille qui est sortie du party de Noël avec le plus beau gars du bureau, ils se sont embrassés sauvagement dans le taxi, ils sont arrivés chez elle, elle avait prévu le coup et mis des draps de satin, il l'a déshabillée, jetée sur le lit, regardez, elle porte encore son bracelet, elle le regarde et elle dit, prends-moi, chéri.
C'est ce que cette pub veut suggérer. Sauf que ça ne colle pas.
Ça ne colle pas si on regarde les yeux de la fille. Si on gomme sa bouche entrouverte et ses sous-vêtements, ça ne va plus. Car tout ce qu'on lit dans ces yeux gris magnifiques, outre le petit cercle blanc du flash du photographe, c'est de l'ennui. Un ennui monumental et total.
Habillez cette fille en tailleur et elle s'emmerde au bureau. Mettez-lui des jeans et un pull et elle a envie de dormir dans son cours de calcul différentiel et intégral. Mettez-lui une toge, elle attend en se limant les ongles la fin des délibérations du jury.
Mais ça s'adonne que cette fille est mannequin. Alors elle s'ennuie en posant à la cochonne dans des draps de satin.
Prends-moi, chéri, dit-elle en baîllant.

dimanche 6 décembre 2009

Cadeau de Noël

Exactement dix-huit jours avant Noël, et j'ai déjà eu mon premier cadeau. Un morceau de baguette trempée dans de la purée d'ail rôti à l'huile d'olive. Je préparais studieusement un bon repas. Après que le mélange ait été vidé dans les pommes de terre, il en restait une mince couche dans le bol à mélanger. J'ai léché la cuillère et le bol avec un croûton. Mie élastique, croûte craquante, goût de l'ail fondu et adouci dans l'huile qui sent le soleil. Un plaisir d'enfant.

vendredi 4 décembre 2009

Remarquable

Taille moyenne, cheveux bruns, pas jolie, pas laide. La fille n'avait rien de remarquable. Si ce n'est que deux mèches bleu vif dans ses cheveux. Bleu piscine sous un soleil d'été, bleu mer des Caraïbes, bleu ciel de Québec lorsque le soleil tombe derrière les fortifications. Un fabricant de peinture l'aurait baptisé Geai bleu ou Océan tropical. Et ses bottes, style Doc Martens montant à mi-mollet, étaient tachetées, précisément, de la même teinte de bleu.