mercredi 30 septembre 2009

Le chevalier fatigué

L'homme au visage fatigué est assis à sa table. Son petit local est cerné de bibliothèques bourrées de livres. Le code du logement. Le code civil. De grands cartables gris: jurisprudence - logement. Le premier remonte à 1992. L'homme a de profondes rides sur le visage. Les rides du pur qui se bat depuis des lustres pour les pauvres de ce quartier défavorisé de Montréal.
L'homme au visage fatigué est assis à sa table. A côté de lui, sur un chevalet, il y a les plans d'un tout nouveau quartier, qui sera bientôt construit dans un no man's land industriel. On y voit les maquettes de jolies tours de condos, des panneaux colorés, de la verdure. Un concept environnemental irréprochable.
Ce sera beau. Très beau.
L'homme au visage fatigué sait que ceux dont il s'occupe, ceux pour qui il collectionne la jurisprudence dans de gros cartables gris ne pourront pas se payer des condos dans ces jolies tours neuves. Ils iront ailleurs.
Et ça creuse encore davantage ces rides sur son front.

SOS taxi

Sur le tableau de bord du taxi, tous les voyants jaunes sont allumés. Low tire. Low oil. Low gas. Et sur un quadrant blanc, une alarme clignote en rouge. Service this engine soon. Quand la voiture dépasse 50 kilomètres heure, l'engin vibre de partout. Insensible à ce tremblement de terre sur roues, le chauffeur continue à zigzaguer entre les voitures qui filent sur la rue St-Urbain. Il arrive à destination. La cliente descend. Et il poursuit sa course, imperturbable.

dimanche 27 septembre 2009

Du côté de chez Joe

Sur cette petite rue commerciale du nord de Montréal, c'est le désert. Une pseudo pâtisserie où personne n'entre jamais. Un glacier qui a fermé ses portes. Un resto placardé. Un salon de tresses africaines. Il n'y a personne, sauf Joe le dépanneur. Pardon, Joe l'épicier.
Dans son petit local plein comme un oeuf, il y a des allées bourrées de sacs de pâtes dont les noms sonnent comme une chanson italienne. Conchiglietti, orechiette, cavatappi, capellini, rotelle, fiori. Des dizaines de pots de sauce pour aller avec. Vous manquez de poudre à pâte pour faire votre gâteau aux bananes? Joe en a. Un urgent besoin d'essence d'amande? Joe en a. Il a aussi des baguettes à la mie ferme et élastique. Des petits pains dans des grands sacs bruns. Et si vous n'êtes pas trop pressé, vous remarquerez le comptoir du fond, où Joe coupe de grands morceaux de parmesan qu'il offre à ses clients pour un prix dérisoire.
Il n'a l'air de rien, comme ça, Joe l'épicier. Mais il réconforte. Parce son épicerie, vestige d'une autre époque, est à des années-lumière des allées anonymes d'un Couche-tard. On ne va pas au dépanneur; on va chez Joe.

vendredi 25 septembre 2009

Jésus de Montréal

Il est grand, très grand. Sa crinière brune légèrement ondulée, qui lui descend très bas sur les épaules, et sa barbe grisonnante lui donnent une allure de Sacré-Coeur déjantée. Un Sacré-Coeur qui porte les couleurs d'un groupe heavy metal, sous une veste d'armée kaki zippée aux trois-quarts. Il est bagué, bijouté de partout. Des breloques d'argent au cou. Un gros bracelet-chaîne au poignet. Il se tient au poteau du métro et il regarde devant lui. Des yeux d'un vert très doux, cerclés de cernes bruns et de rides profondes. Un regard vague, perdu, parti.
Dans sa tête, il est très loin d'ici.

jeudi 24 septembre 2009

Station Jean-Talon

Le père est assis sur un banc simple du métro. Il a un enfant sur chaque genou. Le plus vieux a trois ans, peut-être quatre. Il a un masque de Batman dans les mains. Le plus petit a encore le visage joufflu d'un bébé. Ils ont tous deux de grands yeux sombres, humides. Le père, visage basané, babichette soigneusement taillée qui commence à grisonner, a rejeté sa cravate de soie rouge sur son épaule. Il est penché sur ses petits. Il les embrasse. Ils rient tous les trois.
Ils sont descendus à la station Jean-Talon, emportant avec eux cette bulle de bonheur qui illuminait la grisaille matinale du métro.