mardi 13 avril 2010

Deux chiens

Rue Ste-Catherine, après-midi ensoleillé de printemps. Devant un commerce, un jeune est assis par terre. Veste de cuir cloutée, percings aux sourcils, au nez. Cheveux en broussaille, qui n'ont pas vu de peigne depuis très longtemps. Le jeune mendie, un petit récipient devant lui. «Pour manger».
Un gros chien beige se tient tout près de lui. Laisse tendue, il dévore des croquettes dans une écuelle. Il mange tout, puis s'assoit à côté de son maître. Le jeune regarde à l'est. Il attend quelqu'un.
A deux mètres à peine, une jeune femme vêtue avec soin, maquillage impeccable, tient aussi un petit chien blanc en laisse. Elle tient la laisse avec désinvolture, une cigarette dans l'autre main, son sac en cuir serré sous son bras. Elle aussi attend quelqu'un. Elle regarde à l'ouest.
Le petit chien s'avance vers le gros en agitant la queue. Le gros l'accueille de la même façon.
Les deux chiens fraternisent. Pas les maîtres.

dimanche 11 avril 2010

L'ange triste

Quand elle dessine, c'est toujours la même figure qui surgit sous son crayon. Un ange. Un ange, accroupi, les ailes repliées, les cheveux tombant sur son visage. Un ange triste, blessé, atteint d'un projectile meutrier.
Cet ange, c'est probablement elle. L'histoire de Mélissa, je l'ai entendue des dizaines de fois. Père malade mental, mère soumise, les crises de colère à la maison, les abus sexuels. Elle était la plus vieille. Elle protégeait son frère et sa soeur. Ils avaient tous appris la leçon numéro un de la maison: ne pas faire de bruit. Filer doux. Mélissa a passé toute son enfance à filer doux. Elle s'est transformée en petite souris. Au secondaire, la petite souris n'a pas été très populaire, évidemment. Elle s'est fait mettre à l'écart, on a ri d'elle, on lui a craché dessus.
Il y a quelques mois, Mélissa s'est retrouvée en prison. Elle a pété les plombs quand son propriétaire, qui la poursuivait de ses pressantes avances, s'est retrouvé chez elle à moitié nu. Elle a pris un couteau de cuisine, lui a posé sur la gorge et a menacé de le tuer.
Et maintenant, elle essaie de s'en sortir. Elle fréquente un organisme de St-Jérôme, Ici par les arts. Un local plein de couleurs fait pour les marginaux comme elle qui trippent peinture, sculpture, théâtre.
Mélissa, donc, dessine des anges. Peut-être que sous sa plume et avec un peu d'aide, un jour, ils réussiront à déplier leurs ailes.

mercredi 7 avril 2010

Intervenant extrême

Marc Lardin est psychoéducateur. Depuis quinze ans, il travaille avec les clientèles les plus poquées. Ex-détenus, toxicomanes lourds. Sa spécialité: les projets «extrêmes». Des entreprises casse-gueule avec une clientèle à haut risque.
Comme ce voyage, organisé il y a deux ans, avec huit jeunes toxicomanes. Toxicomanes, on s'entend, pas avec du petit stock: crack, cocaïne, amphétamines. Marc a pris ces huit jeunes de 20, 25 ans, qui consommaient depuis des années. Ils avaient tous des troubles de comportement, d'énormes difficultés sociales.
Il les a emmenés dans un chalet, en pleine nature. Aucun accès possible à de la dope. Tout le monde a fait son sevrage entouré de verdure. Il leur a donné des cours d'anglais, des ateliers de développement personnel, mais aussi de navigation. Parce qu'après ces quinze semaines passées dans un petit chalet, les jeunes allaient naviguer à la voile dans le golfe du St-Laurent pendant près de deux mois.
Ils ont vogué sur la baie des Chaleurs, ont débarqué aux Iles de la Madeleine, à Sydney, en Nouvelle-Écosse.
«Ils ont navigué, mais ils ont surtout négocié», rigole Marc en racontant leur grande aventure. «Quand ça pétait, il fallait ramasser tout ça.» Et c'était Marc, bien sûr, en tant que seul adulte intervenant sur le bateau, qui «ramassait tout ça.» Marc, un roc de calme, de solidité, de fermeté tranquille. Cool, mais exigeant. Compréhensif, mais franc. «Les gens savent que je vais leur dire si leurs affaires n'ont pas d'allure.»
Après 23 semaines de cohabitation, de négociation, d'aventure, la vie de ces jeunes a été transformée. «Ils ont réussi à arrêter la consommation. Tous, ils ont trouvé un but dans la vie. Ça a été une réussite», dit Marc. Une jeune est retournée aux études. L'autre est devenu gérant de resto.
Marc croit fermement qu'une telle expérience, «qui frappe», contribue à redonner à ces jeunes ce dont ils ont manqué dans leur petite enfance, ce que leurs parents n'ont jamais réussi à leur donner: le sentiment d'être aimé.
«Si on les replonge dans un contexte intense, ils vont réapprendre. Si on les bombarde de défi, d'énergie, on peut réussir à les reprogrammer.»
Si Marc faisait sa maîtrise en psychoéducation, ce serait son sujet. Maudit beau sujet.
Et pour le bateau, je te lève mon chapeau bien haut, Marc.

mardi 6 avril 2010

Visite en prison

Il y a des clôtures de douze pieds surmontés de barbelés. Il faut passer deux guérites à l'entrée, montrer une pièce d'identité, déposer son sac, son cellulaire, signer un registre. On n'entre pas en prison comme dans un moulin. A l'intérieur, les lourdes portes de métal claquent, au bout de corridors interminables.
Il y a la «wing» de la sécurité maximale, où sont «hébergés» les gangs de rues et les motards criminalisés. Il y a l'infirmerie, où on garde les détenus qui ont des problèmes de santé mentale. Il y a l'aile dite de «protection», où sont gardés les pédophiles, les violeurs, bref, les détenus qui auraient toutes les chances de connaître un mauvais sort si on les mêlait au reste de la population carcérale.
Pour l'heure, les détenus en protection sortent de leur cellule: le décompte vient de se terminer. Quatre d'entre eux sont dans la cour, toute petite, entourée de murs de béton si hauts qu'ils cachent le ciel. Ils se lancent une balle de baseball. Les gardiens sont à leur poste, à l'intérieur, derrière une grande baie vitrée.
La balle arrive à toute vitesse sur le cadre de cette grande fenêtre. Le claquement, fort et soudain, fait sursauter tout le monde.
Le détenu qui a lancé la balle regarde les gardiens, un léger sourire aux lèvres.