mercredi 27 janvier 2010

Le camelot

Il a un visage de photo en noir et blanc. Vous savez, ces photos très classiques de magazine, où on voit le visage du sujet en gros plan. Gros plan sur ces rides profondes, des failles qui partent des yeux et traversent les joues en se noyant dans les poils de la barbe où il y a plus de sel que de poivre. Gros plan aussi sur ces yeux, qui fixent le vide, droit devant lui.
Dans ces yeux, on ne lit rien, et tout à la fois. On lit une barrière érigée entre cet homme et le monde. On lit une absence, une défense, une forteresse. En voyant ces deux grands yeux gris-verts, on sait qu'il y a quelque chose à l'intérieur de cette forteresse, oh, bien caché, très bien caché.
Il tient la revue l'Itinéraire à bout de bras, devant lui. Il ne lâche pas son magazine tant qu'il ne tient pas l'argent en main. Lors de l'échange, ses yeux se posent brièvement sur moi. Il ne dit pas un mot. Et moi non plus.

mardi 26 janvier 2010

Étrange rencontre (2)

La fille porte un masque de vieille femme qui lui descend jusqu'au bas du visage. Un masque de théâtre, qui dessine une vieille femme de caricature, gros nez, bouche charnue, pommette saillante, rivière de rides. Sa mise va parfaitement avec le masque. Chapeau cloche des années charleston, veston de velours vert. Elle a même de gros escarpins larges, parfaitement passés de mode. Elle est assise avec un jeune homme vêtu, lui, en vendeur de tapis marocain. Djellabah beige, fine moustache. Il porte un grand panier d'osier sur ses genoux. Durant le trajet de métro, il sort une marionnette de ce grand panier. Une jeune fille, dont il fait bouger les membres avec habileté. Elle danse, elle se tourne, elle fait des gestes gracieux de sa petite main souple. C'est un couple parfaitement désassorti, parfaitement étrange, que tout le monde regarde.
Puis, après quelques stations, ils descendent en agitant la main. Tout le monde sourit.
A la prochaine station, c'est une fille déguisée en kangourou qui fait son entrée dans le wagon.
Quel trajet.

mercredi 13 janvier 2010

La chaussette rouge

La dame passe inaperçue dans la cohue matinale du métro. Elle a des cheveux roux ramassés en une queue de cheval maigre. Un manteau violet élimé. Comme la moitié des passagers du métro, elle écoute son baladeur. Et en plus, elle tricote. Une chaussette rouge. Elle a presque terminé le talon.
Ses aiguilles volettent rapidement autour de l'ouvrage de fine laine rouge. Une maille à l'endroit, une maille à l'envers. Elle a presque terminé le talon. Sa pelote de laine est sagement rangée dans son sac de cuir noir verni, imitation crocodile.
La foule, de plus en plus compacte, se resserre autour d'elle. Elle n'en a cure. Elle tricote.

jeudi 7 janvier 2010

Étrange rencontre (1)

L'homme a le visage fatigué d'un prof de mathématiques au secondaire qui attendrait la retraite. Visage pâle, lunettes carrées. On imagine des cheveux gris épars, une calvitie partielle.
On imagine seulement, parce qu'on ne voit pas sa tête. Il porte un bonnet qui ressemble étrangement à ceux des jokers dans les jeux de carte. Un bonnet de joker, donc, rouge vin et moutarde. Il porte un pourpoint constellé de paillettes. Et il porte un très long pantalon de velours rouge. Très long, parce qu'en jouant un air enlevé sur sa flûte traversière, il est juché sur des échasses. Pour se maintenir en équilibre, il doit donc constamment bouger, ce qui lui donne vaguement l'air d'un petit garçon qui a envie de pipi.
Résumons: une tête de prof de maths, un habit de joker, des échasses et une envie de pipi. Rien de tout cela ne va ensemble. Le résultat est franchement comique.